Il n’est pas rare que la science et la technologie nucléaires soient utilisées pour étudier et préserver des objets culturels de valeur, tels que des toiles, des vêtements, des instruments de musique, des statues, des armes et des armures ou même des momies égyptiennes et d’anciens navires en bois. Les institutions culturelles ont de plus en plus recours aux techniques nucléaires et connexes pour analyser et préserver des objets historiques et des œuvres d’art d’une valeur inestimable. En plus de dévoiler les dessins cachés de certaines toiles, les techniques nucléaires aident à mettre au jour les tentatives de falsification les plus astucieuses, sans pour autant endommager l’objet concerné. Les techniques comme l’irradiation aident également à conserver les objets culturels en éliminant les micro-organismes comme les bactéries ou les champignons, ou en éradiquant les insectes destructeurs.
La science et la technologie nucléaires au service de l’étude et de la préservation du patrimoine culturel
1. La caractérisation, étude du patrimoine culturel à l’aide de techniques nucléaires
La caractérisation est un processus qui consiste à examiner les propriétés des œuvres d’art et des objets archéologiques avec une grande précision, pour déterminer leur âge, leur composition chimique et leur origine. Les experts combinent plusieurs techniques nucléaires faisant appel à divers types d’équipements et de rayonnements, dont les rayons X, les rayons gamma, les neutrons et les faisceaux d’ions.
La caractérisation aide les chercheurs à déterminer quand, où et comment un objet a été créé. Elle offre en outre aux restaurateurs de précieuses informations qui les aident à comprendre comment préserver efficacement des artefacts archéologiques uniques. Grâce à elle, les spécialistes peuvent déterminer l’authenticité d’un objet d’art et savoir si celui-ci a fait l’objet d’un commerce illicite. La caractérisation aide à étudier les structures internes d’un artéfact, y compris les craquelures, les fissures et les défauts même invisibles à l’œil nu.
Découvrez ci-dessous quelques-unes des techniques nucléaires d’analyse les plus couramment utilisées pour la caractérisation.
Analyser la composition élémentaire : comment les rayons X ont aidé à percer les secrets de Léonard de Vinci
L’analyse par fluorescence X est une technique utilisée pour examiner la composition élémentaire des toiles, des manuscrits, des pièces de monnaie et des céramiques. Lorsqu’un échantillon d’objet est exposé aux rayons X, ses éléments chimiques émettent des rayonnements qui leur sont propres – ce qui permet de déterminer avec précision la composition de l’objet d’art.
En 2010, des scientifiques français ont eu recours à l’analyse par fluorescence X pour étudier la Joconde, un chef-d’œuvre du XVIe siècle réalisé par l’artiste italien Léonard de Vinci. En analysant la composition et l’épaisseur des différentes couches de peinture et de glacis, les chercheurs ont pu mieux comprendre la technique du « sfumato » de Leonard de Vinci, qui donne à son œuvre un aspect si réaliste.
D’autres techniques sont utilisées pour analyser la composition chimique et la structure des matériaux, notamment la diffraction des rayons X, l’analyse par activation neutronique et diverses techniques faisant appel aux faisceaux d’ions, telles que l’émission X induite par les protons (PIXE), l’émission gamma induite par des protons (PIGE) ou la spectrométrie de masse par accélérateur (SMA). Parmi les œuvres d’art dont la composition élémentaire a été analysée à l’aide de techniques nucléaires figurent une statue en or vieille de 500 ans du sculpteur Benvenuto Cellini, la Saliera, volée puis retrouvée dans une forêt à Vienne (Autriche) ; un portrait de Saint-Georges vieux de plusieurs siècles en Albanie ; et des artefacts en or et en pierres précieuses d’Ayutthaya, ancien royaume de l’actuelle Thaïlande (du 14e au 18e siècle).
Déterminer l’âge : comment les isotopes aident à lutter contre la fraude artistique
Les scientifiques ont recours à une technique appelée datation au carbone pour déterminer l’âge des matériaux organiques d’objets en bois, en coton, en papier, en cuir, en laine, en soie ou en os. Tous les organismes vivants, comme les animaux ou les plantes, absorbent le carbone. Lorsqu’ils meurent, le carbone 14, un isotope instable du carbone, décroit à un rythme connu. Les spécialistes utilisent la spectrométrie de masse par accélérateur (SMA) pour mesurer le taux de carbone 14 dans une œuvre d’art composée de matériaux organiques afin de déterminer sa date de création. Ils peuvent ainsi remonter jusqu’à 50 000 ans en arrière.
En 2019, des experts ont eu recours à la datation au carbone en France pour prouver que deux célèbres toiles – l’une impressionniste et l’autre pointilliste – étaient des contrefaçons. Ces œuvres, qui auraient dû dater du début du 20e siècle, avaient en réalité été peintes après les années 1950.
La datation au carbone a également aidé à déterminer l’âge de la statue en bronze de la louve du Capitole en Italie, d’une statue en bronze d’Apoxyomenos retrouvée au large de la Croatie, dans la mer Adriatique, et d’un ancien système d’aquaculture retrouvé sur les terres du peuple Gunditjmara en Australie.
Découvrir la face cachée : comment la radiographie a révélé deux dessins sur un tableau de Picasso
Les scientifiques utilisent la radiographie industrielle pour analyser la structure interne et vérifier l’intégrité des objets du patrimoine culturel. Ils exposent l’objet à des rayons X, des rayons gamma ou des neutrons qui le traversent et atteignent un film ou un appareil photo numérique spécialement conçu pour recréer une image de la structure interne, avec ses défauts ou ses fissures).
De plus, il arrive souvent que des radiographies de tableaux révèlent des dessins cachés en arrière-plan. L’analyse radiographique de l’œuvre « Le Vieux guitariste aveugle » de Picasso, l’une des plus célèbres de la « période bleue » de l’artiste, a montré qu’il avait réutilisé une ancienne toile. En arrière-plan de la toile se trouvent deux dessins antérieurs : une femme âgée penchant la tête en avant et une jeune mère avec un enfant agenouillé à ses côtés.
L’analyse de la toile « La Tête de paysanne » de Vincent van Gogh au Royaume‑Uni a également laissé apparaître un autoportrait caché de l’artiste.
2. La désinfection, élimination des ravageurs qui endommagent les objets du patrimoine culturel
La conservation à long terme d’artefacts historiques, uniques et irremplaçables peut s’avérer complexe. Des conditions de stockage inadéquates peuvent entraîner la prolifération de bactéries, d’insectes, de parasites, de moisissures ou de champignons à la surface ou à l’intérieur des artefacts, ce qui peut les abîmer ou même les détruire entièrement. Les rayonnements ionisants peuvent résoudre le problème en éliminant ces ravageurs.
Les experts désinfectent les objets en les irradiant à l’aide d’appareils spéciaux, tels que des accélérateurs de faisceaux d’électrons à haute énergie, des appareils à rayons X ou des installations d’irradiation aux rayons gamma utilisant des sources radioactives de cobalt 60 ou de césium 137. En règle générale, l’artefact est placé dans une cellule d’irradiation aux rayons gamma, exposé aux rayonnements puis retiré pour désinfection et décontamination.
La momie du pharaon Ramsès II, vieille de 3 200 ans, est un exemple célèbre d’artefact historique soumis à ce traitement. En 1977, elle a été désinfectée par irradiation aux rayons gamma dans une installation en France pour en éliminer les insectes et les champignons. D’autres artefacts ont été soumis au même traitement : des livres de la bibliothèque du Palais de la Paix aux Pays-Bas, des bobines de films des archives cinématographiques nationales roumaines, un bébé mammouth trouvé dans le permafrost sibérien et des iconostases en bois de l’église des archanges Michel et Gabriel en Roumanie.
La désinfection par rayonnement peut-elle endommager les objets du patrimoine culturel ? Deviennent-ils radioactifs et nocifs pour l’homme ?
Lorsqu’un objet est exposé à des rayonnements, il reçoit une énergie qui modifie sa structure moléculaire. Cependant, les rayonnements affectent différemment les objets selon leur composition chimique, le type de liaisons chimiques qui les caractérisent, la durée de l’exposition et son intensité. Un traitement correctement appliqué aide à éliminer les contaminants et les parasites vivants sans endommager les artefacts culturels.
Les restaurateurs utilisent de faibles doses de rayonnements, de maximum 10 kilograys, afin de ne pas endommager les objets du patrimoine culturel. Ceux-ci ne deviennent pas radioactifs après le traitement et les personnes à proximité ne courent aucun risque d’irradiation. Les objets restent intacts, ils sont juste désinfectés.
Quels sont les avantages de recourir à l’irradiation pour préserver le patrimoine culturel ?
Autrefois, les experts utilisaient des méthodes chimiques et physiques pour désinfecter les objets culturels et historiques. En plus d’être coûteuses, ces méthodes nécessitaient des substances toxiques ou des traitements thermiques et pouvaient être nocives pour les objets, les restaurateurs ou l’environnement. Elles ne pouvaient garantir l’élimination totale des parasites que si le traitement atteignait les moindres recoins où ils se trouvaient.
Les techniques d’irradiation présentent plusieurs avantages par rapport aux méthodes anciennes : elles peuvent être utilisées à température ambiante, sans qu’il faille toucher l’objet ni utiliser de substances supplémentaires, elles ne laissent aucune trace et n’endommagent pas les matériaux traités. Une décontamination par irradiation effectuée dans un espace bien protégé et dans des conditions de sûreté strictes est sans risque pour les objets traités et pour les personnes.
3. La consolidation, la restauration des objets dégradés du patrimoine culturel
L’irradiation aide à rétablir les liaisons chimiques des objets détériorés, ce qui contribue à les renforcer et à les solidifier. Cette méthode consiste à imbiber l’objet ou le matériau d’une résine liquide, puis à l’exposer à des rayonnements pour la durcir et la consolider.
Avec la technique de consolidation, l’apparence de l’objet reste pratiquement inchangée mais les propriétés physiques et chimiques du matériau sont modifiées de sorte qu’il devient plus résistant et plus compact.
En 2011, les experts ont appliqué l’irradiation à un navire romain en bois datant du premier siècle, découvert dans le Rhône à Arles (France). Retiré de l’eau, le navire séchait et il commençait à s’effriter. Pour restaurer cette relique, les spécialistes d’ARC-Nucléart ont eu recours à la technique de la consolidation : ils ont imprégné le bois du navire d’une résine radio-réticulable et l’ont exposé à des rayonnements ionisants pour durcir le bois et stopper sa désagrégation.
Quel est le rôle de l’AIEA ?
- Dans le cadre de son programme de coopération technique, l’AIEA aide les pays à renforcer leurs capacités d’utiliser les techniques nucléaires pour étudier et préserver le patrimoine culturel, en organisant des cours, des réunions techniques, des visites scientifiques et en octroyant des bourses d’études. L’AIEA aide les experts du monde entier en mettant à leur disposition le matériel et les installations nécessaires pour effectuer des recherches et procéder à des interventions nucléaires. Elle aide également les chercheurs et les conservateurs en mettant à leur disposition des méthodologies harmonisées et des procédures normalisées.
- L’AIEA organise des ateliers, des conférences et des manifestations spéciales sur l’utilisation de la science et de la technologie nucléaires pour étudier et préserver le patrimoine culturel, favorisant le partage des connaissances et des données d’expérience entre experts internationaux.
- L’AIEA promeut la publication de documents universitaires, de recherche et d’information sur la conservation du patrimoine culturel. Une publication intitulée Nuclear Techniques for Cultural Heritage Research (Techniques nucléaires au service de la recherche sur le patrimoine culturel), parue en 2011, présente de manière exhaustive les techniques nucléaires et connexes utilisées pour examiner, restaurer et préserver des artefacts et des œuvres d’art historiques. Une autre publication intitulée Uses of Ionizing Radiation for Tangible Cultural Heritage Conservation (Utilisation des rayonnements ionisants pour la conservation du patrimoine culturel matériel), parue en 2017, fournit des informations sur la désinfection et la consolidation par irradiation, avec des exemples d’objets traités par irradiation dans plusieurs pays, dont le Brésil, la Croatie, la France, la Roumanie et la Tunisie.
- L’AIEA a désigné quatre centres collaborateurs dans le domaine du patrimoine culturel : l’Université Paris-Saclay et ARC-Nucléart (France), le Centre national pour la recherche et la technologie des rayonnements (Égypte) et l’Organisation australienne pour la science et la technologie nucléaires.
- L’AIEA organise plusieurs cours et offre des possibilités de formation en ligne sur l’application de techniques nucléaires telles que la datation au carbone pour étudier le patrimoine culturel et pour la médecine légale, les techniques de spectrométrie X pour la caractérisation des artéfacts, et l’irradiation industrielle.