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Face à l’absence de données environnementales, un jeune chimiste philippin se tourne vers la science nucléaire

Tiré du Bulletin de l’AIEA
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Le chimiste Wilfren Clutario a eu recours à la science nucléaire pour comprendre comment l’océan avait fait face à la pollution causée par un puissant typhon en 2013.

(Photo : M. Gaspar/AIEA)

Lorsque le chimiste spécialiste de l’environnement Wilfren Clutario chercha à savoir dans quelle mesure l’océan avait été pollué par le typhon le plus puissant ayant jamais touché terre, qui avait coûté la vie à plus de 6 000 personnes et dévasté les deux tiers de Tacloban en 2013, il fut confronté à un problème : il n’existait aucune donnée de référence.

« On pouvait mesurer la concentration de nitrates et de matière organique dans la mer, mais il était impossible de savoir quelle part était d’origine naturelle et quelle part provenait de la contamination due au typhon », explique Wilfren Clutario. À l’époque, il était chercheur à l’Université d’État des Visayas orientales et utilisait des techniques classiques pour mesurer la concentration de divers composés chimiques sur les sites d’échantillonnage. Les rafales de vent provoquées par le typhon Haiyan, qui a frappé la ville le 8 novembre 2013, ont entraîné la formation de vagues semblables à celles d’un tsunami qui ont charrié des débris contenant des matières organiques, des contaminants et des cadavres d’animaux et d’êtres humains depuis le littoral jusque dans l’océan.

Chercheurs et décideurs ignoraient si l’océan pourrait tolérer les quantités de polluants qui y avaient été rejetées sous l’effet du typhon et craignaient que le site ne se transforme en une zone morte pendant des décennies. Comme le précise Wilfren Clutario, il fallait qu’ils puissent distinguer les éléments polluants des éléments naturels pour déterminer les mesures à prendre, le cas échéant, pour aider l’océan à « digérer » les débris, de sorte qu’il puisse retrouver son équilibre naturel.

Lorsqu’il exposa son problème de recherche lors d’une conférence en 2015, Wilfren Clutario piqua la curiosité de Raymond Sucgang, chercheur principal de l’Institut philippin de recherche nucléaire (PNRI). Fort de son expérience en matière d’utilisation des techniques isotopiques pour caractériser la pollution de l’eau, ce dernier était impatient de proposer une solution à Wilfren Clutario. Depuis lors, les deux hommes collaborent étroitement. « Nous étions faits pour travailler ensemble », se plaît à dire Raymond Sucgang.

Non seulement Wilfren Clutario a appris à utiliser les techniques isotopiques pour déterminer l’origine de l’azote et de la matière organique et leur déplacement vers l’océan (voir l’encadré « En savoir plus »), avec le concours du PNRI et de l’AIEA, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, mais il a également ajouté un cours sur l’utilisation des techniques isotopiques dans le programme scolaire du Lycée scientifique des Philippines, sur le campus des Visayas orientales, où il enseigne. Il a depuis supervisé plusieurs projets de recherche menés par des lycéens sur le recours à ces techniques pour caractériser la contamination des masses d’eau douce de la région.

« Nous n’avons pas de bureau à Tacloban, mais nous avons Wilfren », se réjouit Raymond Sucgang. De fait, par une journée ensoleillée du mois d’août 2018, le lycée accueillait, dans l’une de ses salles de classe, des chercheurs venus en nombre des quatre coins de la ville et de la province pour participer, à l’invitation du PNRI, à un atelier d’une journée consacré à l’utilisation des techniques nucléaires et isotopiques dans un large éventail de domaines.

« Les techniques nucléaires ont de multiples applications, mais celles-ci sont encore méconnues, même dans la communauté scientifique », fait remarquer Wilfren Clutario, qui a pris part à des formations dispensées sous la direction de l’AIEA en Australie et en Malaisie pour approfondir sa connaissance du sujet. « Quand les gens, y compris les chercheurs, entendent le mot “nucléaire”, ils pensent seulement à l’énergie nucléaire, mais ce n’est qu’un domaine parmi tant d’autres. »

« Étendre l’utilisation des applications nucléaires au sein de la communauté scientifique est au cœur de la mission du PNRI et nous comptons sur des chercheurs comme Wilfren Clutario pour y parvenir », affirme Carlo A. Arcilla, directeur du PNRI. « Nous organisons des ateliers dans tout le pays pour sensibiliser les scientifiques. »

Protéger la chaîne alimentaire

Grâce à ses travaux de recherche, Wilfren Clutario a découvert que les concentrations d’azote relativement élevées observées dans les zones commerciales et côtières étaient naturelles, tandis que celles, relativement plus faibles, enregistrées dans les zones protégées et les pêcheries commerciales voisines pourraient être dues à la biomasse provenant des terres, comme les cadavres.

« L’azote est le traceur qui nous indique où les polluants ont fini par se déposer », explique Wilfren Clutario.

L’étape suivante consiste à analyser les poissons et les sédiments afin de déterminer dans quelles proportions ces contaminants se sont frayé un chemin jusque dans la chaîne alimentaire. Il est important de mesurer la concentration de métaux lourds dans les poissons, car il se peut que l’océan ait été contaminé par des substances toxiques contenues dans les débris.

Wilfren Clutario continue de prélever des échantillons. Les bureaux du PNRI situés près de Manille les analysent au moyen d’un spectromètre de masse à rapport isotopique fourni à titre gratuit par l’AIEA dans le cadre de son programme de coopération technique. Ces analyses permettront de savoir si les concentrations tendent ou non à diminuer et si ce processus se produit naturellement. « Il nous reste encore beaucoup à faire pour mieux comprendre l’océan », fait observer Wilfren Clutario.

Les événements tragiques de 2013 resteront gravés à jamais dans sa mémoire et, même s’il est impossible de changer le cours de l’histoire, il se dit heureux de pouvoir apporter sa contribution aux efforts de restauration.

« Lorsque j’ai vu le typhon et l’onde de tempête dévaster ma ville et tuer de nombreuses personnes que je connaissais, je n’avais pas idée que, quelques années plus tard, j’allais utiliser les techniques nucléaires pour aider Tacloban à se relever. »

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