« Il n’y a jamais eu autant de bouches à nourrir dans le monde, mais la solution n’est pas d’employer plus d’engrais : leur utilisation excessive est l’une des raisons pour lesquelles le secteur agricole est devenu peu à peu l’une des principales sources de gaz à effet de serre au cours des 70 dernières années », a déclaré Christoph Müller, spécialiste des sols et des végétaux à l’Institut d’écologie végétale de l’Université Justus Liebig, à Giessen (Allemagne), et à l’École des sciences biologiques et environnementales de l’University College de Dublin. En 2014, le secteur agricole, qui couvre la foresterie et d’autres utilisations des terres, a été à l’origine de 24 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, d’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
« Il faut protéger l’environnement tout en aidant les agriculteurs, mais pour ce faire, il est tout d’abord nécessaire de comprendre précisément comment les engrais interagissent avec le sol et les cultures et à quel stade ils émettent des gaz à effet de serre », a ajouté Christoph Müller. « Les techniques nucléaires nous permettent d’obtenir ce genre d’informations détaillées et de trouver des moyens viables d’augmenter la production des cultures vivrières tout en en limitant le plus possible l’impact sur l’environnement. »
Les végétaux et le sol transforment les engrais en nutriments utiles, mais certains des sous-produits de cette transformation sont des gaz à effet de serre : dioxyde de carbone (CO2), oxyde nitreux (N2O) et méthane (CH4). Avec la bonne dose d’engrais, les végétaux poussent bien et la quantité de gaz à effet de serre émise est minimale. Néanmoins, lorsque la quantité d’engrais est trop élevée pour que les végétaux puissent l’absorber, le surplus reste dans le sol, ce qui entraîne une augmentation exponentielle des émissions.
Christoph Müller, des scientifiques de neuf pays et des experts de l’AIEA effectuent, en partenariat avec la FAO, un suivi des isotopes en vue de comprendre les liens entre engrais, cultures, sols et émissions de gaz à effet de serre (voir l’encadré « En savoir plus »). De tels procédés sont également utilisés dans le cadre d’une expérience d’enrichissement en CO2 menée à l’air libre (FACE), qui permet à des scientifiques d’étudier dans quelle mesure la qualité des cultures et les besoins en engrais peuvent être influencés par les niveaux de CO2 plus élevés que contient l’atmosphère sous l’effet des changements climatiques. Les conclusions de leurs études isotopiques serviront à établir des principes directeurs visant à réduire la quantité d’engrais dans l’agriculture, sans compromettre la qualité et le rendement des cultures.
Les résultats de leurs recherches ont déjà permis de trouver des moyens d’optimiser l’application d’engrais sur plus de 100 hectares de pâturages et de cultures de riz, de maïs et de blé : les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 50 % et le rendement des cultures a augmenté de 10 %.
« Dans le cadre de l’expérience FACE, nous constatons aussi que les végétaux poussent plus, mais que leur qualité est modifiée », a ajouté Christoph Müller. FACE est une expérimentation menée à grande échelle qui reproduit les changements climatiques dans des conditions naturelles. L’une des études les plus anciennes de ce type, qui se poursuit sur le site expérimental de Giessen (Allemagne), consiste à simuler les quantités de CO2 que devrait contenir l’atmosphère au milieu du siècle et d’en apprécier les retombées sur des pâturages typiques.