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Des protestations au partenariat
Entretien avec Gerben Dijksterhuis, maire de Borsele (Royaume des Pays-Bas)
Irena Chatzis

Gerben Dijksterhuis, maire de Borsele, s’adresse aux habitants qui ont élaboré une liste de conditions pour l’acceptation par la collectivité de la construction de nouveaux réacteurs nucléaires de puissance dans la commune. (Photo : Municipalité de Borsele, Royaume des Pays-Bas)
Le premier grand rassemblement mondial de représentants des collectivités qui accueillent des installations nucléaires aura lieu à Vienne (Autriche) en mai 2025, à l’occasion de la Conférence internationale sur la participation des parties intéressées aux programmes électronucléaires de l’AIEA. Gerben Dijksterhuis, maire de Borsele (Royaume des Pays-Bas), où se trouve la seule centrale nucléaire en exploitation du pays, discute des principaux aspects de la participation des parties intéressées aux programmes électronucléaires.
Comment l’engagement des parties intéressées a-t-il évolué au fil du temps ?
Dans les années 1960 et 1970, il y a eu de vives protestations et des manifestations contre l’arrivée de la centrale nucléaire, mais ces dernières années, nous n’avons pratiquement pas vu de manifestations. Au fil des ans, l’exploitant de la centrale, EPZ, a appris à communiquer de manière ouverte et transparente. Cela a contribué à l’établissement de bonnes relations avec la collectivité, un élément important de la « licence d’exploitation » d’EPZ. La centrale est désormais considérée comme un bon voisin.
En 2023, Borsele a organisé un processus unique de participation citoyenne sur les grands projets énergétiques à venir, dont deux réacteurs nucléaires de puissance. Qu’est-ce qui vous a incité, vous en tant que maire et les autorités locales, à associer les citoyens au processus ?
Les gens ont souvent des opinions tranchées pour ou contre l’énergie nucléaire, mais la décision de construire ou non de nouveaux réacteurs nucléaires est prise en dernier ressort par le gouvernement national. Nous nous sommes donc concentrés sur les intérêts de la collectivité et avons posé la question : « Si deux autres réacteurs nucléaires sont construits, qu’est-ce que cela signifiera pour notre commune et ses habitants ? Dans quelles conditions accepterions-nous une telle évolution ? » En ayant cette discussion, nous engageons un débat sur notre avenir commun et décidons de ce qui est nécessaire pour continuer à vivre, à travailler et à profiter de la vie dans notre région.
Ma commune compte plus de 23 000 habitants et il n’est donc pas possible de demander à chacun et à chacune son avis sur ces développements. En choisissant au hasard 100 résidents, nous pensions obtenir un bon éventail d’opinions reflétant le point de vue de tous les habitants. De cette façon, nous pouvons considérer ce qui nous attend en tant que collectivité avec un esprit ouvert, sans être trop influencés par les partisans ou les détracteurs bruyants. Nous voulions aussi donner la parole aux jeunes, qui vivront le plus longtemps avec l’impact des nouveaux réacteurs nucléaires, et à la « majorité silencieuse », c’est-à-dire aux habitants qui sont généralement moins enclins à s’exprimer dans les débats publics.
Au cours de cinq réunions, ces 100 résidents ont suggéré 39 conditions dans lesquelles des développements majeurs pouvaient avoir lieu, en garantissant que l’impact sur l’environnement soit correctement pris en compte.
Nous pensons qu’en tant que collectivité locale, nous devrions avoir notre mot à dire sur les projets concernant notre région.
Quelles sont les préoccupations les plus courantes de la population locale à l’égard des projets électronucléaires ? Dans quelle mesure ces préoccupations diffèrent-elles de celles relatives à d’autres grands projets ?
Nous sommes quelque peu habitués aux grands projets, car nous vivons à proximité d’une grande zone industrielle et d’un port maritime international. Toutefois, l’impact de la construction suscite des inquiétudes : nous voyons dans d’autres pays combien de temps cela prend, quelle est la taille du chantier et combien de personnes y travaillent. Les habitants pensent surtout au bruit, à la poussière et à la pollution lumineuse, ainsi qu’à l’augmentation du trafic lié à la construction. Ce développement suscite aussi des inquiétudes pour le paysage dont nous sommes si fiers ici.
En ce qui concerne plus particulièrement le volet nucléaire, les gens sont préoccupés par la sûreté des nouvelles installations nucléaires et par l’impression persistante d’une absence de solution définitive pour les déchets nucléaires.
Quel est, d’après l’expérience de Borsele, l’impact socio-économique des projets électronucléaires sur les collectivités d’implantation et sur les régions voisines ?
Environ 400 personnes travaillent dans la centrale nucléaire actuelle, et beaucoup d’autres sont employées indirectement. Si la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires se concrétise, des milliers de travailleurs supplémentaires seront nécessaires pendant 5 à 15 ans. Cela créera non seulement des emplois dans la région, mais aussi des opportunités pour les entreprises locales, les établissements d’enseignement et la construction de logements. C’est l’occasion d’investir dans l’avenir de la région, en mettant l’accent sur l’innovation et le progrès. Il est donc essentiel qu’en tant que gouvernement et société, nous élaborions en temps utile des plans pour gérer correctement ces évolutions. La construction de réacteurs nucléaires affecte toute une région, et lorsque de nouveaux réacteurs sont construits, la coopération avec les municipalités voisines est essentielle pour s’y préparer. Cela comprend la planification concernant le logement, l’infrastructure et l’éducation.
En plus d’être maire de Borsele, vous êtes président du Groupe des municipalités européennes dotées d’installations nucléaires (GMF Europe). Pourquoi est-il important que les collectivités accueillant de telles installations s’organisent en associations ?
Les collectivités accueillant des installations nucléaires sont souvent confrontées ou ont été confrontées aux mêmes défis. En tant que réseau de telles collectivités dans différentes régions d’Europe, le GMF nous permet d’apprendre les uns des autres et de trouver des solutions ensemble. Nous pouvons nous entraider en partageant les informations et les enseignements tirés sur la manière de traiter les initiatives nucléaires. Ensemble, nous pouvons aussi faire entendre une voix plus forte en politique internationale. Je suis fier que le GMF ait été invité à plusieurs reprises – y compris par l’AIEA – à contribuer à une nouvelle politique et à présenter sa vision aux pays participants. Avec des maires du Canada et des États-Unis d’Amérique, nous avons aussi créé le Partenariat mondial des municipalités dotées d’installations nucléaires.
Il est tout aussi important de défendre la position des populations locales. Elles doivent pouvoir s’exprimer sur les développements qui les concernent.
Quels sont les conseils que vous donneriez aux collectivités nouvelles venues dans le domaine nucléaire ?
Jouez un rôle actif, assurez-vous d’être bien informées, posez les bonnes questions et veillez à ce que les préoccupations de votre collectivité soient entendues. Cela permet non seulement de comprendre l’impact des projets nucléaires, mais aussi de contribuer activement à la prise de décision et au processus dans l’intérêt de la collectivité.
En outre, il est important d’adhérer à des réseaux de municipalités. De cette manière, on peut influencer conjointement la politique, au niveau tant national qu’international. En travaillant avec des organisations telles que l’AIEA, nous pouvons nous assurer que les politiques tiennent compte des besoins des collectivités d’implantation.