La terre et l’eau, deux éléments sur lesquels repose la prospérité de l’agriculture tunisienne, sont menacées depuis quelques années par les changements climatiques et l’érosion croissante des terres. Certains des sols les plus fertiles du pays sont érodés, ce qui entraîne la dégradation des terres et l’envasement des lacs. Pour inverser cette tendance, il faut protéger l’environnement, conserver les sols et appliquer des techniques isotopiques, qui aident les experts à évaluer l’efficacité des méthodes traditionnelles de conservation des sols et donc à optimiser leurs pratiques.
Mesure de l’érosion des terres
En partenariat avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et en coopération avec le Centre national des sciences et technologies nucléaires (CNSTN), l’AIEA soutient un projet qui porte sur l’utilisation du césium 137 (137Cs), radionucléide provenant des retombées, comme traceur pour mesurer le taux d’érosion des terres [voir Les radionucléides provenant de retombées permettent de déterminer l’érosion du sol (en anglais)] et valider l’efficacité des méthodes de conservation.
L’une de ces méthodes consiste à aménager des billons, qui servent à conserver à la fois l’eau et le sol. Des machines élèvent des billons de 80 cm de haut, situés à environ 40 m les uns des autres. « Chaque billon crée une rupture de la longueur effective de pente et fait barrière au ruissellement des eaux de surface, réduisant ainsi l’érosion des terres », explique Emil Fulajtar, pédologue à la Division mixte FAO/AIEA des techniques nucléaires dans l’alimentation et l’agriculture.
L’utilisation des isotopes pour mesurer l’érosion du sol offre plusieurs avantages. « Le 137Cs présente des avantages par rapport aux méthodes classiques de mesure de l’érosion : il permet d’obtenir des données sur les taux moyens d’érosion à long terme et de déterminer la distribution spatiale de l’érosion », explique Emil Fulajtar.
Expérience sur l’érosion du sol
Sur le bassin versant expérimental de Sbaihia, qui s’étend sur 335 ha dans le nord de la Tunisie, deux champs de blé en pente, l’un avec et l’autre sans billons, ont été évalués. L’analyse du sol au moyen du 137Cs a permis d’estimer la quantité de sol dégradé par l’érosion. Les résultats, exprimés en tonnes par hectare et par an (t/ha/an), ont montré que les billons avaient réduit l’érosion du sol de 41 %, la faisant passer de 37 à 22 t/ha/an. « Cette approche traditionnelle de conservation est techniquement simple, bon marché, et peut être appliquée facilement par de petits exploitants », indique Emil Fulajtar. « Cependant, son efficacité n’est pas encore optimale. Le taux d’érosion reste supérieur au taux d’érosion du sol tolérable, qui est d’environ 1,5 t/ha/an. »
Des mesures de conservation plus efficaces sont nécessaires, et il pourrait être utile d’augmenter la densité du réseau de billons en faisant passer la distance entre les billons de 40 m à 20-25 m », ajoute Emil Fulajtar. « Cela raccourcirait la longueur effective de pente et rendrait le réseau de billons considérablement plus efficace s’agissant de la conservation du sol. Une autre possibilité serait de tester la gestion des terres par culture sans labour. »
« Les résultats de l’étude sont utilisés pour orienter la stratégie nationale du Ministère tunisien de l’agriculture en matière de conservation du sol et de l’eau », indique Oueslati Mansour, chef du laboratoire de radioanalyse du CNSTN. « Les taux d’érosion du sol ont été exploités pour établir des cartes d’orientation agricole en fonction du degré d’érosion observé. » Le CNSTN va mener d’autres études pour voir comment la méthode peut être améliorée, et les billons vont être introduits dans des zones où aucune technique de conservation du sol n’est appliquée. Oueslati Mansour explique que sur la base des résultats montrant l’efficacité des billons, les décideurs vont continuer à utiliser cette technique de conservation et à renforcer la pratique dans d’autres régions de la Tunisie touchées par l’érosion.