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Des outils de nouvelle génération favorisent un déclassement plus rapide et plus efficace des réacteurs nucléaires ayant subi de graves accidents

Nayana Jayarajan

Un robot de décontamination déployé à Fukushima Daiichi pour soutenir les activités de démantèlement

(Photo : Institut international de recherche pour le déclassement des centrales nucléaires, Japon)

Quelques jours après le tremblement de terre le plus puissant jamais enregistré au Japon, il ne faisait aucun doute que les tranches 1 à 4 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi seraient définitivement mises à l’arrêt. Le 11 mars 2011, un tsunami gigantesque provoqué par le tremblement de terre a balayé les protections côtières du Japon et les murs d’enceinte de la centrale nucléaire, causant des dommages considérables. Les inondations ont endommagé les générateurs de secours, entraînant la surchauffe du combustible nucléaire dans trois tranches de réacteurs puis la fusion partielle des cœurs. La centrale nucléaire a également connu plusieurs explosions d’hydrogène qui ont endommagé des bâtiments et provoqué le rejet de matières radioactives. Plus de 150 000 personnes ont été évacuées de la préfecture de Fukushima et les autorités ont mis en place une zone d’exclusion. Cependant, une fois largement maîtrisée la catastrophe immédiate découlant du tsunami, les problèmes de déclassement de l’installation, lourdement endommagée, n’ont fait que commencer.

Le déclassement d’une installation nucléaire après un accident grave est une entreprise complexe qui, par rapport à un déclassement intervenant après un arrêt programmé, nécessite souvent des stratégies, des techniques et des pratiques particulières. De ce fait, garantir la sûreté radiologique pendant l’exécution de toutes les activités constitue un défi majeur. Par exemple, l’une des tâches les plus délicates du déclassement d’un réacteur accidenté est le retrait du combustible usé et endommagé.

Dans le cas de l’accident de Fukushima Daiichi, une partie du combustible nucléaire avait fondu et était tombée dans la partie inférieure des enceintes de confinement des tranches de réacteurs 1, 2 et 3. Les niveaux élevés de rayonnements à l’intérieur des bâtiments de confinement ont restreint l’accès des travailleurs à la zone proche du réacteur. Les exploitants ont été confrontés à un problème majeur : comment retirer le combustible endommagé si l’on n’en connait pas l’emplacement exact ?

C’est là qu’intervient la muographie, technique d’imagerie des muons issus du rayonnement cosmique élaborée il y a plus de soixante ans et employée depuis lors dans différents domaines, aussi bien à l’intérieur des volcans et des pyramides de l’Égypte ancienne que pour la détection de matières nucléaires dans des conteneurs d’expédition. Les détecteurs de muons révèlent la présence des particules subatomiques naturelles de haute énergie et en suivent la trajectoire accidentée lorsqu’elles traversent les matériaux, dont on peut ainsi déterminer la densité. Les matières nucléaires telles que l’uranium et le plutonium sont très denses donc relativement faciles à identifier par cette technique.

Les robots télécommandés qui transportent des outils de mesure et de visualisation des rayonnements sont une priorité des travaux de recherche-développement visant à réduire le plus possible la radioexposition des travailleurs sur le site et à faire constamment progresser le déclassement de la centrale de Fukushima Daiichi.
Kentaro Funaki, directeur exécutif de l’Agence japonaise de l’énergie atomique.

La muographie a été employée à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi pour localiser les débris de combustible dans les cœurs des réacteurs et évaluer leur état. En 2015, au Japon, des experts ont élaboré une technique modifiée afin de repérer des débris pouvant mesurer jusqu’à 30 centimètres au minimum. Cette technique a servi à déterminer l’état du combustible endommagé dans le réacteur de la tranche 1 de Fukushima Daiichi, préalable essentiel aux opérations de déclassement.

Cet exemple n’en est qu’un parmi tant d’autres où l’innovation technologique a permis de résoudre des problèmes inédits et imprévus de déclassement et de relèvement après un accident.

« Les conséquences d’un accident sont toujours imprévisibles et l’infrastructure organisationnelle et technique existante et les technologies disponibles peuvent ne pas être adaptées ou suffisantes pour répondre aux besoins après l’accident. Souvent, lors du déclassement d’installations nucléaires endommagées, les approches technologiques et le matériel nécessaire sont mis au point au cas par cas », explique Vladimir Michal, expert en déclassement à l’AIEA, qui a codirigé un projet visant à documenter et à analyser le déclassement et la remise en état d’installations nucléaires endommagées, le Projet international sur la gestion du déclassement et de la remédiation des installations nucléaires endommagées (DAROD). « Dans de nombreux cas, comme dans celui de la muographie, ces technologies ont trouvé une application plus large dans le cadre du déclassement, voire dans d’autres domaines. »

Un autre exemple notable est la construction d’une nouvelle enveloppe de confinement sûr au-dessus du bâtiment du réacteur de la tranche 4 de la centrale nucléaire de Tchornobyl, en Ukraine, entre 2016 et 2019. Destiné à remplacer l’abri temporaire construit après la catastrophe de 1986, il s’agit de la plus grande structure terrestre mobile au monde. Il est conçu pour durer cent ans et pour résister à de violentes intempéries. Cette nouvelle structure de confinement a été bâtie à environ 180 mètres à l’ouest de la tranche 4 endommagée. Sa construction et son positionnement ont nécessité de recourir à des techniques de génie civil très avancées.

« La nouvelle enveloppe de confinement sûr n’empêche pas seulement le rejet de matières radioactives, mais facilite aussi le déclassement futur », a déclaré Valeriy Seyda, directeur général par intérim de l’entreprise spécialisée d’État de la centrale nucléaire de Tchornobyl. La structure de confinement sûr est conçue pour empêcher le rejet de contaminants radioactifs, protéger les structures internes du réacteur et faciliter le déclassement. Aux fins du déclassement, elle comprend deux grues télécommandées de pointe. Celles-ci sont installées juste sous le toit et sont conçues de sorte à permettre le déclassement ultime de la tranche 4 tout en protégeant les travailleurs et l’environnement.

À la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, la technique d’ingénierie bien établie consistant à construire un mur souterrain en sol gelé a été utilisée pour empêcher les eaux souterraines de s’écouler sur le site et de se mélanger à l’eau déjà contaminée à l’intérieur des bâtiments du réacteur. Le mur de 1 500 mètres a été construit en gelant le sol de manière à le rendre imperméable aux eaux souterraines, réduisant ainsi la quantité totale d’eau contaminée à traiter.

Les technologies robotiques télécommandées avancées permettent maintenant de mener des travaux de déclassement dans des zones à intensité de rayonnement élevée. Ainsi, à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, des robots sont utilisés pour la surveillance et les mesures, la conduite d’études, la décontamination et les préparatifs de l’enlèvement des débris de combustible.

« Les robots télécommandés qui transportent des outils de mesure et de visualisation des rayonnements sont une priorité des travaux de recherche-développement visant à réduire le plus possible la radioexposition des travailleurs sur le site et à faire constamment progresser le déclassement de la centrale de Fukushima Daiichi » a déclaré Kentaro Funaki, directeur exécutif de l’Agence japonaise de l’énergie atomique. M. Funaki a souligné que les projets internationaux menés conjointement constituaient l’un des éléments clés du large éventail de projets de recherche-développement financés par le Gouvernement. « Des efforts considérables sont actuellement déployés pour visualiser en trois dimensions les points chauds radioactifs près des tranches 1 et 2 de la centrale de Fukushima Daiichi. La fusion des résultats des recherches menées conjointement aux niveaux national et international s’est révélée très fructueuse et ces activités se poursuivront à l’avenir » a-t-il ajouté.

L’utilisation de technologies non nucléaires dans des environnements nucléaires pose de nombreux problèmes, parmi lesquels le poids des coûts de développement, du fait notamment de la présence de rayonnements et de l’incertitude quant aux conditions précises dans lesquelles le matériel sera utilisé. Toutefois, les progrès accomplis pour ce qui est du câblage et d’autres composants essentiels ainsi que la mise au point d’équipements résistant aux rayonnements permettent d’utiliser les technologies robotiques de manière sûre et efficace dans ces environnements hostiles. De plus, les technologies laser permettent de scanner l’intérieur de ces environnements, souvent inaccessibles à l’homme, tout en protégeant la santé et la sûreté des travailleurs. « Ces progrès accroissent considérablement les possibilités de démantèlement sûr et efficace, même dans des situations très difficiles faisant suite à un grave accident nucléaire dans une installation », a déclaré M. Michal.

04/2023
Vol. 64-1

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