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Des Andes à l’Himalaya

Comprendre l’incidence du recul des glaciers sur les sols et l’eau

Emma Midgley

L’humidimètre à neutrons de rayons cosmiques a été assemblé sur le glacier Yala au Népal après une randonnée de six jours.

(Photo : Edson Ramírez/Université supérieure de San Andrés, Bolivie)

 

Fin novembre, après une randonnée de six jours dans les montagnes glacées de l’Himalaya, le scientifique bolivien Edson Ramírez a positionné un humidimètre à neutrons de rayons cosmiques sur le glacier Yala au Népal. Dès son installation, l’appareil a commencé à transmettre par satellite des données exactes et en temps réel portant sur l’accumulation de neige sur le glacier.

En sanskrit, le mot Himalaya signifie « séjour des neiges ». Mais avec l’accélération du réchauffement climatique, les glaciers de l’immense chaîne de montagnes d’Asie centrale se sont mis à fondre, à s’affaiblir, à s’effondrer puis à disparaître à un rythme sans précédent.

En mesurant les neutrons près de la surface du sol sur une zone étendue, les humidimètres à neutrons de rayons cosmiques permettent aux scientifiques de mesurer précisément les niveaux d’humidité de la neige et des sols. Ces données servent ensuite à indiquer si les glaciers accumulent suffisamment de neige pour résister aux mois les plus chauds, ou si les zones humides sont au contraire en train de s’assécher. Les activités innovantes de recherche-développement de l’AIEA menées par le Centre mixte FAO/AIEA des techniques nucléaires dans l’alimentation et l’agriculture ont contribué à la mise au point de ces sondes à neutrons qui permettent aux scientifiques de renforcer la préparation des interventions d’urgence liées au climat.

Avant l’installation de l’humidimètre à neutrons de rayons cosmiques sur le glacier Yala, les scientifiques présents au Népal dépendaient de relevés mensuels ou annuels pour suivre l’évolution du glacier. Désormais, ils reçoivent des mises à jour régulières sur les variations les plus récentes de l’accumulation de neige. La mise à disposition de façon fiable de telles données permet d’orienter les stratégies et les politiques qui aideront le pays à s’adapter aux futures pénuries d’eau.

« L’humidimètre à neutrons de rayons cosmiques va aider les scientifiques à mieux comprendre les changements du glacier au cours du temps et à prévoir les incidences possibles sur les sols et les ressources en eau. » 

­— Edson Ramírez, glaciologue de l’Université supérieure de San Andrés en Bolivie, devant le nouvel humidimètre qui vient d’être installé sur le glacier Yala, au Népal.

(Photo : Université Tribhuvan, Népal)

 

 

 

Edson Ramírez, glaciologue de l’Université supérieure de San Andrés en Bolivie, a été formé à l’utilisation des données fournies par l’humidimètre à neutrons de rayons cosmiques à l’occasion d’un programme de coopération technique (CT) de l’AIEA, qui s’inscrit dans le cadre d’une décennie de projets de l’Agence visant à renforcer la capacité des pays à évaluer les effets des changements climatiques dans les régions polaires et glaciaires à l’aide de techniques nucléaires. « Me rendre au Népal m’a donné l’occasion de transmettre mes compétences à des scientifiques d’autres pays », a déclaré Edson Ramírez. « L’humidimètre à neutrons de rayons cosmiques va aider les scientifiques à mieux comprendre les changements du glacier au cours du temps et à prévoir les incidences possibles sur les sols et les ressources en eau. »

Au Népal, la disparition de la neige et de la glace a de graves conséquences. Des millions de personnes dépendent de l’eau libérée par leur fonte : quand ces sources d’eau s’assèchent, des villages entiers sont abandonnés. En outre, avec la disparition des glaciers, les sols risquent de devenir instables, ce qui entraînerait érosion et glissements de terrain et rendrait l’agriculture impossible.

Avant de partir pour le Népal, Edson Ramírez, en collaboration avec l’AIEA, a participé à l’installation en Bolivie du plus haut humidimètre à neutrons de rayons cosmiques du monde. Implanté au sommet du Huayna Potosí, montagne culminant à 4 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, l’appareil doit mesurer l’accumulation de neige et son équivalent en eau dans une région dont les populations souffrent elles aussi de pénuries d’eau causées par la disparition des glaciers. Dans le même bassin versant, un autre humidimètre à neutrons de rayons cosmiques surveille l’humidité des sols dans les zones humides de haute altitude. Ces bassins versants sont des réservoirs de carbone qui jouent un rôle essentiel dans la régulation des réserves d’eau de la région ; ils sont par conséquent particulièrement vulnérables aux changements climatiques.

En travaillant dans des régions montagneuses ou polaires telles que l’Antarctique ou l’Arctique, les experts de l’AIEA ont également formé des scientifiques locaux à l’utilisation de l’analyse isotopique et de méthodes complémentaires permettant de retracer les effets des changements climatiques dans ces zones au cours des millénaires. Les empreintes chimiques et isotopiques peuvent révéler la manière dont la fonte des glaces a influé sur les mouvements et la qualité des sols, permettant ainsi aux pays de se préparer pour l’avenir.

« L’analyse des schémas historiques doit nous aider à comprendre les facteurs à l’origine des changements climatiques, ainsi que leur incidence sur les sols et les ressources en eau », indique Gerd Dercon, chef de la Section de la gestion des sols et de l’eau et de la nutrition végétale du Centre mixte FAO/AIEA. « Les changements climatiques vont-ils déclencher des boucles de rétroaction accélérant le réchauffement climatique, par exemple du fait de la réduction de la réflexivité des surfaces causée par la diminution de la couverture neigeuse et glaciaire ? C’est en étudiant le passé que nous comprendrons mieux l’avenir. »

L’AIEA met actuellement en œuvre une série de projets en lien avec les changements climatiques dans les régions polaires et montagneuses. À ce jour, l’Agence a formé des scientifiques issus de 14 pays. Une équipe composée de ces scientifiques et d’experts de l’AIEA a participé à 15 expéditions scientifiques à travers le monde. Ces possibilités de formation et ces expéditions – de l’île du Roi-George en Antarctique à l’archipel norvégien du Svalbard dans l’Arctique, en passant par les Andes et le plateau tibétain oriental – sont de parfaits exemples de la coopération Sud-Sud et de la coopération triangulaire en action, qui constituent un mécanisme essentiel de la mise en œuvre du programme de CT.

Un résultat significatif de ces expéditions a été l’établissement d’un réseau de surveillance international, doté d’une plateforme d’apprentissage en ligne hébergée par l’AIEA qui propose des modules de formation théorique et pratique portant sur l’archivage, le partage et la visualisation des données. Le réseau a mis au jour des processus jusqu’alors inconnus en matière de redistribution du carbone organique du sol et des sédiments, en plus de fournir des renseignements sur la manière dont les parties du monde recouvertes par la glace (désignées par le terme « cryosphère ») subissent les effets des changements climatiques.

Près de deux milliards de personnes, soit un quart de la population mondiale, vivent dans des zones où l’alimentation en eau dépend des glaciers et de la fonte saisonnière des neiges. Les changements climatiques ont déjà des conséquences sur la sécurité hydrique et alimentaire, car ils mettent en péril certains des écosystèmes les plus fragiles de notre planète. Il est dès lors indispensable de disposer en temps réel de données fiables pour aider les populations partout dans le monde à s’adapter au réchauffement climatique.

04/2025
Vol. 66-1

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