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Avis d’expert sur le déclassement de l’usine de retraitement du combustible usé de La Hague

Michael Madsen

Aujourd’hui, en France, 56 centrales nucléaires produisent environ 70 % de l’électricité. Tout le combustible usé qui en provient, ainsi que celui de certains autres pays, est retraité et partiellement recyclé à La Hague, dans le nord de la péninsule du Cotentin.

Après 35 ans d’exploitation, la première usine de retraitement du site, UP2‑400, a été fermée en 2003 et est en cours de déclassement – opération qui devrait prendre plusieurs dizaines d’années. Pour mieux comprendre l’avancement de ce projet et les difficultés liées au déclassement d’une installation comme celle-ci, nous nous sommes entretenus avec Éric Delaunay, vice-président chargé des opérations de fin du cycle de vie chez Orano, l’entreprise majoritairement détenue par l’État français qui est chargée de veiller à ce que le site soit sûr et se prête à de futures utilisations.

« À l’avenir, la robotique permettra d’augmenter la productivité, d’optimiser la sûreté des travailleurs, d’assurer à notre personnel de meilleures conditions de travail et de mieux le motiver. »

— Eric Delaunay,vice-président chargé des opérations de fin de cycle de vie chez Orano (France)

Question : Quelles sont certaines des difficultés propres à la mise en œuvre du déclassement d’UP2-400 et les différences par rapport à celui de grandes installations nucléaires, comme les centrales ?

Réponse : La principale difficulté réside dans la présence de matières radioactives déposées et dans la contamination d’une grande partie des installations mises à l’arrêt. Dans une centrale nucléaire, l’enlèvement du combustible usé et la décontamination complète du système permettent d’éliminer plus de 99 % de la radioactivité initialement présente. Seuls la cuve sous pression du réacteur et ses composants internes restent largement radioactifs. Dans une usine de retraitement comme UP2‑400, la situation est un peu différente. Chaque pièce d’équipement et chaque pièce sont plus ou moins radioactive, et il faut les extraire et les conditionner préalablement au démantèlement. En d’autres termes, les fonctions de sûreté de l’usine doivent être maintenues pendant la majeure partie de son processus de déclassement, alors que dans une centrale, on peut abaisser les classes et systèmes de sûreté une fois que le déchargement du combustible est terminé et que la piscine d’entreposage du combustible usé a été vidée.

Question : Quels sont les principaux risques opérationnels et stratégiques de ce projet de déclassement et comment sont-ils gérés ?

Réponse : Parmi les risques stratégiques, on compte principalement les dépassements de coûts et les retards d’exécution du projet, puisque ceux-ci occasionnent des frais supplémentaires. Les retards peuvent être causés par des risques opérationnels variés, concernant tous les aspects du projet, mais surtout par, premièrement, le manque de connaissances concernant la situation radiologique initiale due à la présence des cellules de haute activité et des équipements radioactifs, et deuxièmement, par des difficultés liées à l’évolution professionnelle et à la rétention de personnel. Pour atténuer le premier type de risque, nous avons mené pendant plusieurs années un programme de caractérisation très complet qui réduit considérablement pour plusieurs années l’incertitude quant à la situation de l’usine de retraitement et l’état de ses cellules. S’agissant du deuxième, nous avons organisé une série d’actions, comme la participation à des programmes de formation régionaux et nationaux, une politique de recrutement proactive, la formation continue de notre personnel afin de favoriser la polyvalence et la mobilité au sein de l’organisme, ainsi que l’innovation dans les pratiques de déclassement afin d’améliorer l’environnement de travail.

Question : Le projet de déclassement d’UP2‑400, entamé il y a vingt ans environ, devrait encore se poursuivre sur plusieurs années. Quelles ont été les répercussions de l’innovation technologique sur le projet au fil du temps, et quels développements technologiques futurs auront, selon vous, le plus d’impact ?

Réponse : Ces 20 dernières années, c’est la numérisation du projet, à tous les niveaux, qui a provoqué les plus grands changements. Les technologies numériques ont évolué en termes de puissance et d’efficience, de coût, et de diversité. Il y a vingt ans, les modèles virtuels étaient complexes et coûteux à développer, la réalité virtuelle était limitée et les smartphones et tablettes n’existaient pas. Ces dernières années, ces technologies ont évolué au point d’apporter des bénéfices réels et mesurables à nos activités, et elles ont complètement transformé et amélioré les processus de notre organisation. À l’avenir, la robotique permettra d’augmenter la productivité, d’optimiser la sûreté des travailleurs, d’assurer à notre personnel de meilleures conditions de travail et de mieux le motiver.

Question : Les principes de la durabilité et de l’économie circulaire gagnent en importance dans le secteur nucléaire. En quoi influencent-ils les activités de déclassement à La Hague ?

Réponse : S’agissant de l’économie circulaire, une des difficultés auxquelles nous nous heurtons est le fait que nous déclassons des installations conçues et construites il y a quarante ou cinquante ans, alors que cette notion n’était pas prise en considération. Cependant, depuis 15 ans, après la création en 2008 dans notre entreprise de toute une division consacrée au déclassement de nos propres installations nucléaires, Orano s’engage en faveur de la fermeture du cycle nucléaire industriel et de la mise à disposition des bâtiments désaffectés pour de nouveaux usages. Nous nous efforçons aussi de réduire le plus possible la production de déchets à toutes les étapes du déclassement, et de plus en plus nous réutilisons les équipements et recyclons les matières. De récentes évolutions de la réglementation française ont aussi ouvert la porte au recyclage des métaux des installations nucléaires déclassées en vue de leur réutilisation dans le secteur nucléaire.

Question : Quels sont les principaux effets socio-économiques des travaux de déclassement à La Hague et comment envisagez-vous votre responsabilité envers la communauté locale ? 

Réponse : Les activités de déclassement représentent environ 20 % de l’activité globale et de l’impact socio-économique du site de La Hague, où sont aussi en service deux usines de recyclage du combustible usé. En Normandie, les sites d’Orano sont des sources majeures d’emplois et de revenus pour les collectivités locales. Les dépenses annuelles de notre entreprise s’élèvent à 850 millions d’euros par an, dont plus de 70 % restent dans la région. Orano La Hague a aussi noué un partenariat avec la Chambre de commerce et d’industrie de Cherbourg-Cotentin pour former et embaucher des travailleurs locaux. En 2023, les sites d’Orano dans la région du Cotentin recruteront 500 personnes, dont 20 % travailleront sur le déclassement. De plus, 200 alternants seront recrutés pour des périodes d’un à trois ans.

Question : De quelle manière l’AIEA accompagne-t-elle les travaux de déclassement sur le site de La Hague et comment ceux-ci peuvent-ils mieux bénéficier d’activités de collaboration internationale ?

Réponse : Notre projet de déclassement est très exigeant et nous devons nous concentrer sur son exécution. Toutefois, il s’agit également d’une initiative à long terme qui bénéficie des innovations et des expériences des autres. En matière de déclassement et de remédiation de l’environnement, l’AIEA offre un cadre unique d’échange de vues et de partage de connaissances, y compris sur les tendances et innovations qui pourraient se révéler utiles pour nos activités, comme les technologies numériques, la robotique, la formation et le développement des compétences. Par exemple, les travaux en cours dans le cadre de la réunion technique sur les technologies nouvelles et émergentes permettant de faire progresser les projets de déclassement nous intéressent particulièrement et nous espérons que de telles initiatives permettront d’éviter les chevauchements d’activités de développement.

 

04/2023
Vol. 64-1

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