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Attiser l’intérêt des jeunes pour le nucléaire

L’enjeu de la sûreté

Sinead Harvey

(Photo : D. Calma/AIEA)

Compte tenu de la place qu’occupe aujourd’hui la technologie nucléaire dans la production d’énergie, les efforts déployés pour assurer durablement la sûreté nucléaire sur le long terme sont d’une importance cruciale. Or, depuis peu, les jeunes semblent, dans de nombreux pays, délaisser les métiers du nucléaire. La sûreté nucléaire suppose un rigoureux transfert de connaissances aux nouvelles générations. Comment, dans ces conditions, la communauté nucléaire internationale peut-elle attirer les jeunes vers des carrières dans le secteur nucléaire d’une manière générale, et dans la filière de la sûreté nucléaire en particulier ?

« Le monde évolue. Si nous voulons nous adapter à cette mutation, nous devons donner un nouveau souffle au secteur nucléaire, y ouvrir de nouvelles perspectives, et l’amener à séduire les éléments les plus doués et les plus brillants », plaide Rumina Velshi, Présidente de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN). À ses yeux, il est du devoir des organismes nationaux de réglementation comme la CCSN d’attirer les jeunes vers les carrières nucléaires et de les inciter à y rester, afin de garantir des niveaux de sûreté maxima. « Exclure une partie de la population, ou ne pas s’ouvrir à elle, c’est se priver de notre potentiel », estime Rumina Velshi.

La diversité confère au secteur nucléaire tout entier plus de souplesse et de dynamisme. C’est elle, au bout du compte, la clé du succès.
John Lindberg, étudiant en doctorat aux King’s College et Imperial College de Londres (Royaume-Uni)

Les jeunes et la filière nucléaire

Le contraste saisissant entre la construction de nouveaux réacteurs, en particulier dans les pays occidentaux, et le discours politique qui dénigre l’énergie nucléaire s’est traduit par une baisse, au niveau mondial, du nombre de jeunes qui poursuivent des études tournées vers les carrières proposées dans ce secteur. L’enquête réalisée aux fins du Global Energy Talent Index 2021 (Indice mondial des talents dans le secteur de l’énergie), qui s’est intéressée à la composition des personnels employés par la filière nucléaire dans 166 pays, montre que 29 % de celles et ceux qui y ont répondu avaient entre 18 et 34 ans, mais que 36 % étaient âgés de plus de 55 ans.

Dans le cadre des études de troisième cycle qu’il mène de front au King’s College et à l’Imperial College à Londres (Royaume-Uni), John Lindberg se consacre depuis quelques années à la rédaction d’une thèse portant sur l’incidence à long terme de la perception négative de l’énergie d’origine nucléaire. « Le problème, explique-t-il, vient de ce que certains considèrent que les technologies nucléaires appartiennent au passé et qu’il faut s’en méfier. »

Un sentiment que confirme une enquête réalisée il y a peu par l’Institute of Mechanical Engineers : l’électronucléaire suscite une réaction générale de scepticisme chez les jeunes, qui ne voient guère en quoi il constitue une source d’énergie sobre en carbone. D’après cette enquête, les jeunes s’inquiètent de la sûreté de l’énergie nucléaire, et sont particulièrement préoccupés par la gestion des déchets nucléaires.

Il faudrait ici, selon John Lindberg, faire œuvre d’éducation. « La communauté internationale et l’ensemble de la filière au plan mondial doivent impérativement unir leurs efforts pour dissiper ces doutes parmi les étudiants et, surtout, les amener à éprouver vis-à-vis des technologies nucléaires l’enthousiasme qu’elles méritent et à s’intéresser aux nombreux débouchés qu’offre ce secteur. »

Changer la perception des jeunes

Jawaher Al-Tuweity est une doctorante de l’Université Ibn Tofail à Kenitra (Maroc) dont les travaux portent sur la métrologie des rayonnements ionisants, la physique médicale et la radioprotection. Coordinatrice générale du Forum yéménite pour la recherche scientifique et le développement durable, et directrice du Réseau des jeunes professionnels yéménites (YYPN), elle s’est attachée, des années durant, à ouvrir de nouvelles opportunités dans les technologies nucléaires pour les jeunes au Yémen, son pays natal.

« La filière nucléaire se doit de coopérer avec le secteur éducatif, insiste Jawaher Al-Tuweity. Les informations et les possibilités des uns et des autres doivent être mises en commun pour permettre aux jeunes de découvrir leurs talents scientifiques et les domaines qui les intéressent, et pour modifier la façon dont ils perçoivent le nucléaire. » Le problème auquel le Yémen et bien d’autres pays en développement doivent faire face est celui de l’inégalité. « Les efforts qui sont déployés ne sont pas suffisants et ne s’inscrivent pas dans une perspective à long terme, en ce qu’ils ne profitent pas de manière égale aux pays développés et aux pays en développement. »

« Il faut introduire de la diversité dans les professions nucléaires, car c’est elle le moteur de l’innovation dans le secteur tout entier », ajoute-t-elle. Des initiatives ont été lancées au niveau mondial pour rendre les règles du jeu plus équitables. Le programme de bourses Marie Skłodowska-Curie de l’AIEA octroie ainsi des aides pécuniaires aux femmes désireuses d’entreprendre des études universitaires ciblées sur des sujets liés au nucléaire. À ce jour, 100 étudiantes originaires de 71 pays ont reçu une bourse dans le cadre de ce programme.

John Lindberg préconise lui aussi une diversification de la filière. « La diversité confère au secteur nucléaire tout entier plus de souplesse et de dynamisme. C’est elle, au bout du compte, la clé du succès. Elle nous permet d’éviter les pièges bien connus de la pensée unique et des "caisses de résonance" qui renvoient inlassablement les mêmes perspectives et les mêmes opinions », dit-il. « Le débat public constitue en la matière l’un des outils à privilégier : il faut y introduire une plus grande diversité de pensée, car c’est là ce qui encouragerait l’éclosion de méthodes nouvelles et innovantes permettant d’engager le dialogue avec le public concernant les avantages de l’énergie nucléaire. »

Plans de carrière

Pour échapper aux questions récurrentes de sûreté entendues par le passé, les entreprises peuvent à présent porter leurs efforts sur le transfert des connaissances. Le travail en réseau et les programmes de mentorat jouent ici un double rôle : ils permettent de transférer les connaissances et offrent aux jeunes ces perspectives de progression de carrière auxquelles ils aspirent lorsqu’ils prennent un emploi.

La Conférence internationale de l’AIEA sur la sûreté radiologique,  tenue en novembre 2020 sur le thème « Améliorer la radioprotection dans la pratique », a notamment présenté un programme de développement professionnel qui proposait des échanges entre des anciens de la filière nucléaire et des jeunes, dans l’espoir qu’il en sorte de nouvelles idées qui puissent imprimer un élan à ce secteur et le pérenniser.

La CCSN met par ailleurs à profit toute la palette de carrières qu’offre la sûreté nucléaire pour séduire les jeunes. « Nous cherchons de plus en plus, lorsque nous abordons le thème de la sûreté nucléaire, à toucher des publics qui ne soient pas seulement composés d’étudiants en génie nucléaire ou de groupes de population qui côtoient des installations nucléaires », indique Rumina Velshi. « Lors d’un récent exposé à des étudiants universitaires en ingénierie géotechnique, j’ai constaté qu’ils étaient très intéressés par la question de la confiance du public dans le nucléaire et par le rôle qu’ils pouvaient jouer à cet égard. »

Le changement climatique et la révolution numérique

Partout dans le monde, les jeunes ont été à la tête des manifestations appelant à lutter contre le changement climatique, qui représente à ce jour le plus grand défi planétaire qui soit. Ces jeunes sont au courant des problèmes relatifs au climat et ont soif de participer au débat mondial sur l’avenir de notre planète. L’atténuation des changements climatiques demeure un argument clé pour le maintien et l’essor de l’électronucléaire, et les dernières projections annuelles de l’AIEA montrent que la capacité électronucléaire mondiale pourrait doubler à l’horizon 2050. Ce serait là l’occasion pour la filière nucléaire et la communauté internationale de présenter le nucléaire et la sûreté nucléaire comme un choix de carrière utile et passionnant dans un secteur qui progresse et innove.

À l’heure où le nucléaire n’a plus guère de secrets et où chacun sait les avantages qu’il représente pour les populations et l’environnement, à l’heure aussi où des perspectives de carrière se dessinent et où l’on assiste à une large diversification des métiers qu’il propose, il pourrait devenir tentant d’embrasser une carrière dans ce secteur.

Rumina Velshi et la CCSN considèrent que la révolution numérique qui touche la sûreté nucléaire constitue une chance pour les jeunes. « Nous sommes à l’orée de la "quatrième révolution industrielle" – la révolution numérique. Ce nouveau chapitre de l’évolution humaine, porté principalement par les avancées de la science et de la technologie, progresse à une vitesse exponentielle. Cela vaut aussi pour le secteur nucléaire. Nous savons que la filière nucléaire cherche des solutions novatrices, qui vont de la robotique à l’informatique quantique, en passant par l’intelligence artificielle, pour relever les défis auxquels elle doit se mesurer. Opter pour une carrière dans le domaine de la sûreté nucléaire est l’occasion de participer pleinement à cette révolution. »

03/2021
Vol. 62-1

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