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Lever les inconnues sur la technologie et les matériaux de fusion
Matteo Barbarino
Le plus grand défi technique et scientifique de l’humanité est probablement la fusion nucléaire. La construction d’un réacteur à fusion, l’obtention d’une réaction auto-entretenue et l’exploitation de cette source d’électricité quasi infinie transformeront à tout jamais notre existence et notre rapport à l’énergie. Cette perspective est certes séduisante ; néanmoins, les progrès dans ce domaine ne sont ni simples ni constants, et des difficultés techniques touchant aux structures, aux combustibles et aux matériaux doivent encore être surmontées pour faire fonctionner des machines aussi complexes.
Pour comprendre les limites techniques et les inconnues qui empêchent actuellement la production d’énergie par la fusion, il faut d’abord regarder à l’intérieur du réacteur.
Dans un tokamak, un gaz ionisé hyper chaud (plasma) est chauffé à plus de 100 millions de degrés Celsius (°C) pour induire des réactions de fusion. De puissants champs magnétiques confinent le plasma, protégeant ainsi les parois du réacteur du plasma instable.
Le plasma utilisé pour la fusion nucléaire est généralement constitué de deux isotopes lourds de l’hydrogène – le deutérium et le tritium – qui, en fusionnant, produisent de l’hélium et des neutrons. L’ambition des ingénieurs est de produire du tritium dans les centrales en faisant réagir ces neutrons avec une couverture tritigène, qui doit encore être testée.
« L’énergie des neutrons issus de la fusion représente un sérieux défi pour la première paroi et la chambre à vide de la centrale, ce qui nous impose de bien tenir compte des dommages radio-induits, du bouclier biologique, de la télémanipulation et de la sûreté », explique Ian Chapman, Directeur général de l’Autorité de l’énergie atomique du Royaume-Uni.
L’objectif principal pour les ingénieurs est de mettre au point des matériaux ultra-performants capables de résister à des températures élevées et aux flux de neutrons intenses résultant de la réaction. Une bonne compréhension des effets subis par les éléments faisant face au plasma dans des conditions de fonctionnement normal est aussi essentielle pour l’avenir des grandes centrales à fusion.
Résistance aux extrêmes
L’une des priorités des chercheurs est de mettre au point des matériaux résistant à la dégradation induite par les neutrons pour les structures et les éléments qui font face au plasma. Ces matériaux doivent notamment avoir comme caractéristique de sûreté une faible radioactivité induite par les neutrons, de sorte que la quantité de déchets radioactifs générée soit aussi faible que possible. Cependant, il n’existe actuellement aucune installation d’irradiation par fusion spécialisée permettant de tester les mécanismes de dégradation radiologique et de développer et qualifier des matériaux dans les conditions requises.
L’AIEA aide à résoudre les problèmes liés au développement de matériaux de fusion et à la recherche sur ces matériaux en coordonnant l’élaboration de lignes directrices sur les techniques de test des matières de référence et en comblant le manque de connaissances sur la conception d’installations permettant de tester les matériaux et les composants des réacteurs à fusion.
« Des technologies telles que celle employée dans l’installation à double faisceau d’ions, dont l’AIEA a appuyé la mise en place en 2019 à l’Institut Ruđer Bošković, en Croatie, permettent de simuler les conditions auxquelles les matériaux seraient exposés dans un réacteur à fusion, notamment la transmutation des produits et les dégâts causés par les neutrons et les particules énergétiques issus de la fusion », explique Melissa Denecke, Directrice de la Division des sciences physiques et chimiques de l’AIEA.
Les scientifiques et les ingénieurs s’attachent actuellement à optimiser la configuration du « divertor », la partie du réacteur où le plasma entre le plus en contact direct avec la cuve, pour permettre à cet élément de mieux gérer les flux de chaleur auxquels il est exposé. De plus, à l’aide des connaissances et des données tirées de diverses expériences et outils de simulation d’irradiation, ils élaborent et vérifient une série de critères de conception pour l’ensemble des composants de la cuve du réacteur, dont les divertors.
Un échappement à haute température
Situé tout en bas du réacteur dans la plupart des modèles, le « divertor » fait office de « tuyau d’échappement » du réacteur à fusion : c’est là que les impuretés telles que les « cendres » d’hélium sont extraites et que l’excès de chaleur est évacué. Cette configuration favorise la production de plasmas « plus purs » avec un meilleur confinement énergétique — un paramètre crucial pour la performance d’un dispositif de fusion — en ce qu’elle maintient le plasma à une température suffisante pendant assez longtemps pour permettre des réactions de fusion auto-entretenues.
Dans le cadre du projet ITER, la plus grande expérience de fusion au monde, le divertor sera composé de 54 « cassettes » de 10 tonnes chacune, qui seront soumises à des conditions très exigeantes ; exposées à des flux de chaleur constants de 10 à 20 mégawatts par mètre carré, avec certaines parties subissant des températures comprises entre 1 000 et 2 000 °C, les cassettes devront être remplacées par des outils de télémanipulation au moins une fois pendant la durée de vie du réacteur. Pour supporter cette chaleur extrême ainsi que les particules nuisibles, les composants faisant face au plasma seront revêtus de tungstène, matière qui se caractérise à la fois par une faible absorption du tritium et la température de fusion la plus élevée de tous les éléments naturels.
« La conception du divertor d’ITER reflète les connaissances et les compétences physiques et technologiques les plus avancées à l’heure actuelle, mais des progrès supplémentaires devront être réalisés pour les futures centrales à fusion. L’une des nombreuses missions importantes du projet ITER est de découvrir quels sont les progrès à accomplir », déclare Richard Pitts, Chef de la Section des expériences et des opérations sur le plasma de l’Organisation ITER.
La conception et la construction des futurs réacteurs à fusion dépendront des résultats des expériences techniques, technologiques et matérielles d’ITER ainsi que d’autres activités de recherche-développement bien établies et coordonnées à l’échelle internationale, mais la distance qui nous sépare d’un monde alimenté par la fusion nucléaire se réduit de jour en jour.