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Arguments en faveur de l’utilisation de la criminalistique nucléaire pour renforcer la sécurité nucléaire dans le monde

Maria Podkopaeva

Cartes contaminées saisies à l’aéroport de Bucarest et conservées comme éléments de preuve.(Photo : A. Apostol/IFIN-HH)

Les autorités roumaines ont identifié un groupe de criminalité organisée impliqué dans deux incidents survenus à l’aéroport de Bucarest en 2018, qui mettaient en cause des cartes à jouer contaminées par de petites quantités de matières radioactives. Grâce à leurs compétences en criminalistique nucléaire et au matériel associé, acquis en partie avec l’aide de l’AIEA, elles ont établi que les cartes étaient contaminées à l’iode 125, marqueur utilisé pour tricher à un jeu populaire appelé Xoc Dia. Cette découverte, associée aux informations échangées à une réunion d’experts facilitée par l’AIEA et le Groupe de travail technique international sur la criminalistique nucléaire (ITWG), a donné lieu à une véritable enquête criminelle, qui s’est terminée en 2019.

Initialement, les deux incidents ont été perçus comme des événements isolés et considérés comme des infractions mineures dépourvues de base juridique permettant l’ouverture d’une enquête criminelle. Des informations échangées à une réunion annuelle de l’ITWG ont toutefois permis de lier ces deux affaires à d’autres incidents survenus dans différents pays.

Il va de soi que la Roumanie collabore avec l’AIEA, l’ITWG et les autres organismes internationaux pour mettre en place un programme de criminalistique nucléaire.
Andrei Apostol, chef du Laboratoire GamaSpec, IFIN-HH, Roumanie

« Grâce à l’ITWG et à l’AIEA, nous avons eu toute la possibilité d’établir d’étroites relations avec d’autres experts ayant enquêté sur des affaires similaires et d’étudier ensemble leurs expériences », se félicite Andrei Apostol, chef du Laboratoire GamaSpec de l’Institut national de recherche-développement en physique et en ingénierie nucléaire Horia Hulubei (IFIN-HH).

Les premiers indices et les données d’expérience échangées ont donné aux procureurs des raisons juridiques suffisantes de lancer une enquête criminelle en bonne et due forme. Dans le cadre de cette enquête, des techniques nucléaires et d’autres méthodes ont été utilisées pour obtenir des renseignements sur les cartes, notamment la façon dont elles avaient été fabriquées et étaient utilisées à des fins lucratives, leur destination et leur origine. Les résultats ont aidé les autorités roumaines à trouver de nouvelles pistes et à élargir la portée de leur enquête, notamment en collaborant avec des autorités étrangères.

Andrei Apostol affirme que les méthodes de criminalistique nucléaire ont joué un rôle majeur dans cette affaire. « La criminalistique nucléaire vise avant tout à faciliter les enquêtes criminelles touchant à la sécurité nucléaire. Elle permet d’obtenir des données d’analyse et des informations essentielles sur les matières nucléaires et autres matières radioactives, lesquelles peuvent ensuite être utilisées à des fins de poursuite et de jugement », explique-t-il. Dans le cas présent, les résultats des analyses de criminalistique nucléaire ont été compilés dans des rapports qui ont servi aux procureurs à prouver la présence d’iode 125, isotope utilisé essentiellement dans le traitement du cancer qui a été employé illicitement pour obtenir des gains financiers dans un jeu de carte.

Les rapports ont aussi aidé à résoudre la grande question de savoir qui était derrière les cartes contaminées. « D’expérience, la plupart des trafiquants de matières nucléaires et autres matières radioactives sont des délinquants opportunistes, confie Andrei Apostol. Dans ce cas-ci, les personnes qui transportaient les cartes ne savaient même pas qu’elles contenaient des matières radioactives. » Grâce aux rapports de criminalistique nucléaire et à d’autres moyens d’enquête, les autorités ont pu identifier le groupe criminel à l’origine des cartes et prouver ses intentions criminelles.

Équipés et préparés

Depuis 2015, les autorités roumaines collaborent avec l’AIEA pour développer les capacités de criminalistique nucléaire du pays, notamment les connaissances et les compétences qui ont servi dans l’affaire des cartes contaminées. Elles ont conclu avec l’AIEA des arrangements pratiques concernant la criminalistique nucléaire, qui ont facilité la participation d’experts roumains aux missions consultatives techniques, aux visites de laboratoire et aux formations dans ce domaine ainsi qu’aux projets de recherche coordonnée régionaux. Elles coopèrent également avec d’autres organismes de criminalistique nucléaire à l’échelle internationale.

« Il va de soi que la Roumanie collabore avec l’AIEA, l’ITWG et les autres organismes internationaux pour mettre en place un programme de criminalistique nucléaire », estime Andrei Apostol, soulignant qu’une réunion de l’ITWG tenue quatre ans plus tôt a contribué de manière essentielle à faire mieux connaître aux autorités roumaines la criminalistique nucléaire, son importance et les moyens d’utiliser les capacités nationales existantes pour établir un programme de criminalistique nucléaire.

Des experts en criminalistique nucléaire analysent les cartes saisies à l’aéroport de Bucarest. (Photo : A. Apostol/IFIN-HH)

Une approche unifiée

Depuis 25 ans, l’ITWG offre aux scientifiques, aux responsables de la réglementation, au personnel du maintien de l’ordre, aux procureurs et aux décideurs de près de 40 pays et organisations internationales, dont l’AIEA, un cadre de discussion pour examiner les meilleures pratiques et les nouveautés dans le domaine de la criminalistique nucléaire. Il organise aussi des formations et appuie l’élaboration d’orientations relatives à la criminalistique nucléaire. Son but est de mettre au point une approche unifiée de la criminalistique nucléaire pour aider les responsables de l’application des lois.

Pour faciliter les relations en vue de la fourniture d’une assistance mutuelle et de l’échange d’informations sur la criminalistique nucléaire entre les pays, les affiliés de l’ITWG participent souvent en tant qu’experts aux réunions, aux conférences et aux cours de l’AIEA. Cette dernière aide également les pays qui font partie de la communauté ITWG, notamment en appuyant l’échange de connaissances et en fournissant des services d’analyse liés au trafic illicite.

« La criminalistique nucléaire en tant que discipline scientifique existe depuis les années 1990, et l’ITWG, l’AIEA et l’Initiative mondiale de lutte contre le terrorisme nucléaire collaborent en vue d’en faire un outil de sécurité nucléaire », explique Michael Curry, coordonnateur principal pour la coopération en matière de criminalistique nucléaire au Bureau de la sécurité internationale et de la non-prolifération du Département d’État des États-Unis et coprésident de l’ITWG. « L’intensification des relations entre les experts techniques et les décideurs s’est traduite par une hausse exceptionnelle du nombre et du niveau de développement des programmes nationaux faisant appel à la criminalistique comme outil de sécurité nucléaire, et l’ITWG joue un rôle fondamental à cet égard. »

« Les méthodes et technologies ont évolué depuis l’apparition de la criminalistique nucléaire il y a 25 ans, mais les modes opératoires des criminels aussi », souligne Klaus Mayer, chef adjoint de l’Unité de garanties et de criminalistique nucléaires du Centre commun de recherche de la Commission européenne et coprésident de l’ITWG.

« Les délinquants d’aujourd’hui sont plus astucieux », dit-il, expliquant que les activités criminelles peuvent être dissimulées grâce à des réseaux en ligne tels que le « darknet », qui est anonyme et n’apparaît pas sur les moteurs de recherche standard. « Pour rester en position de force, nous devons non seulement continuer de renforcer notre base de connaissances scientifiques mais aussi mettre davantage l’accent sur l’information et travailler de manière plus intégrée avec les forces de l’ordre et les services d’informations. »

Des pays du monde entier collaborent avec l’AIEA pour renforcer leurs capacités de criminalistique nucléaire. De telles capacités sont une composante essentielle de l’infrastructure de sécurité nationale pour la prévention, la détection et la répression du vol, du sabotage, de l’accès non autorisé, du transfert illicite et d’autres actes malveillants mettant en cause des matières nucléaires et d’autres matières radioactives.

02/2020
Vol. 61-1

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